Au-delà du drame, comprendre les apéros Facebook

Publié le par MJS 18

Source : LeMonde.fr

 

Par Laurianne Deniaud, présidente du Mouvement des Jeunes Socialistes

 

Le décès tragique d’un jeune à l’occasion d’un « apéro Facebook » a logiquement libéré la parole hostile à l’encontre de ces rassemblements. Une fois de plus, un drame servirait comme justificatif à l’intervention autoritaire de la puissance publique. Au-delà de l’indispensable réflexion sur la consommation d’alcool chez les jeunes, il faut s’interroger sur les interventions de responsables politiques à la cinquantaine bien tassée qui démontrent leur incompréhension des jeunes et du monde numérique.

 

Qui se rappelle des réactions après le premier concert de Salut les copains en 1963 ? Place de la Nation, 150 000 jeunes, informés par les transistors et le bouche-à-oreille, se réunirent pour la première manifestation de masse du baby-boom. Avec, à la clef, quelques affrontements avec la police. On titra : « Salut les voyous ! », « Une jeunesse sous mauvaise influence ». « Chahuts d’étudiants », disait-on quand, à Nanterre, des étudiants réclamèrent la mixité des cités U.

 

A l’époque, les « vieux cons » étaient déjà des « vieux cons ». Ils ne comprenaient pas la culture rock, ils ne voyaient pas venir la révolution sociale et sexuelle de 1968. En 2010, rien de nouveau sous le soleil ! La France s’ennuie dans ce présent qui ne lui plaît pas. De nouvelles pratiques émergent. Des autorités frileuses et vieillissantes ne comprennent pas qu’Internet n’est pas un média mais un espace, un écosystème, où les citoyens se parlent, inventent et s’organisent. Où les échanges numériques ne sont pas virtuels : quand une information est échangée en ligne, elle l’est vraiment.

 

Cette horizontalité fait que les mouvements qui surgissent du monde en réseau ne sont pas organisés selon les voies prévues par les lois sur les rassemblements de voie publique. Plus directe et spontanée, la société en réseau peut faire émerger rapidement des initiatives individuelles ou collectives aux sens et formes nouvelles par rapport aux rites politiques, sociaux et festifs habituels.

 

C’est un signal positif, dans notre société dépressive, que des citoyens aient envie de se réunir pour être ensemble, dans un esprit souvent bon enfant. Ce mouvement de réappropriation de l’espace public est profond et se traduit d’ailleurs aussi par le succès des vélos en libre-service ou de Paris Plages. L’espace public n’est pas seulement marchand, celui des terrasses de café aux consommations tarifées, mais il doit aussi être partagé et c’est ce que font ces initiatives.

 

« La jeunesse n’a pas toujours raison, mais… »

 

Bien évidemment, un rassemblement massif doit faire l’objet de mesures d’accompagnement de bon sens sur le plan de la santé et de la sécurité publique. Il serait d’ailleurs intéressant de savoir si 10 000 jeunes posent beaucoup plus de problèmes chez eux, en apéro Facebook ou en discothèque, où l’alcoolisation de fin de semaine s’exerce habituellement en assurant une marge à des professionnels et sans faire la « une » des journaux. Le mal-être d’une génération ne mérite-t-il titres et commentaires que s’il est visible et non rentable ?

 

Quand des collégiens s’affrontent dans des bagarres, on ne titre d’ailleurs plus sur la violence, sur les causes de ces phénomènes, mais sur le fait qu’ils se soient organisés par Facebook pour se battre. Est-ce qu’une bagarre organisée par SMS ou directement dans la cour a moins de sens ou d’importance ?

 

François Mitterrand avait déjà vu cela : « La jeunesse n’a pas toujours raison, mais la société qui la méconnaît et qui la frappe a toujours tort. » L’interdiction générale serait aussi vaine et inefficace qu’Hadopi. On n’empêche jamais les jeunes de secouer une société pour faire naître le monde nouveau qui vient.

 

Cette génération sacrifiée à tant d’égards, qui connaît chômage, précarité, bas salaires, qui va payer bien des erreurs passées, pourrait choisir d’entrer dans des formes de revendications plus violentes si on ne lui laisse trouver sa place ni dans le monde du travail ni dans les loisirs. Les jeunes crèvent de cette société à la violence aseptisée qui ne supporte plus l’imprévu et la spontanéité.

 

Nous pouvons dépasser cet antagonisme. Je propose à tous ceux de nos aînés qui ne comprennent pas ce phénomène de se retrouver pour en parler, autour du verre de l’amitié. Un apéro quoi. On l’organise sur Facebook ?

 

Laurianne Deniaud est présidente du Mouvement des jeunes socialistes.

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